Votez courgette
Faire sens en période de crise
La Plouf-letter Our Millennials Today, c'est un espace où l'on parle orientation et quête de sens. Mais pas aujourd’hui. Dans cette édition hors-série, on discute sens et politique dans un monde où tout semble partir en vrille. Athlète confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue 🎣
Ici, on évoque beaucoup le monde de la natation pour faire référence au fait de se lancer « dans le grand bain » à l’âge adulte. La piscine, c’est le monde – du travail le plus souvent. Le couloir de nage, c’est la voie que l’on choisit. Les différentes techniques de nages, les paliers que l’on passe. Enfin, les nageur·ses sur la planche ou dans le bassin, ce sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quête de sens. Bonne séance 🐋
🐟 Avant le plongeon
Munis toi de ton uniforme peignoir-claquettes-chaussettes et respire un coup, c’est parti !
Coucou toi ! J'espère que tu vas bien depuis notre dernière rencontre au bord de l'eau ! Ici, ça flotte. La cadence de Février-Mars a été particulièrement intense à tenir. Si tu me suis sur instagram, tu as d'ailleurs dû voir que les formats y ont évolué « la faute au manque de temps ». Mais rassure toi, désormais, tout mon matériel de natation est arrivé à bon port. J'ai trouvé un nouveau couloir de nage pour reprendre les entraînements. Me voici donc de retour, prête à (tenter de) maîtriser la technique du papillon et parler quête de sens dans un contexte actuel qui s’y prête peu.
Fasten your bouée, we're about to take off 🏊♀️
ps : cette édition a été envoyée le vendredi 22 avril avant le second tour des élections présidentielles – mon émotion est retombée depuis – mais le propos reste d’actualité malgré le résultat
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« Aujourd'hui je me ch*e dessus ouais » Charline
« Je suis dans une vibe de moine tibétain. Je médite pas mais j'essaie de laisser passer mes émotions sans les retenir. Pour avoir un regard calme sur la situation » Anna
🦑 Toustes à(u) fond
✋ Wait a sec’ !
Oups. Désolée de te couper en plein élan. Petite confession avant de plonger.
J'ai menti. Depuis le 10 avril, ça ne va pas. J’ai l'impression d'avoir été taclée par surprise au milieu du plongeoir duquel je comptais m'élancer et d'être en PLS sur le bord de la piscine à attendre que les medics s'occupent de moi.
Oui, le premier tour m'a tuer
. Oui, l’atmosphère actuelle de la piscine nationale me crispe. Entre mon insta militant en sueur – où l'on se prépare à des ratonades le soir de la potentielle victoire de Le Pen –, les premiers heurts entre clubs de nage droite-gauche comme à la Sorbonne ou les appels à la révolution, rien de bon ne semble se présager à l'horizon. Le système est cassé. En témoigne à lui seul le taux d'absention de ma génération (42% selon Ipsos & Sopra Steria).Et comment leur en vouloir lorsque tout les murs de la piscine (inter)nationale s'écroulent ?
La dernière décennie a été marquée par des attentats, une crise économique, sanitaire et sociale ; le tout sur fond de crise climatique. Cette dernière, constamment reléguée au second plan depuis les années soixante-dix devient critique (cf. le dernier rapport du GIEC). Après l'âge d'or des boomers, nos générations doivent désormais colmater les brèches d'une piscine abîmée par des excès à répétition.
De quoi rendre sa serviette avant même d'essayer de nager.
J'ai aussi en tête les discours statuant qu'on vit 80% des moments constitutifs de notre personnalité avant 35 ans (Megan Jay)
; que la vingtaine représente les plus belles années de notre vie. Mais fuck. Je refuse de me dire qu’on hérite d'un pays à feu et à (presque) sang où l'extrême droite est proche de s'emparer du pouvoir 77 ans après la Seconde Guerre mondiale – et à peine 20 ans après le duel Chirac-Le Pen. Et, quand on voit les politiques menées par les gouvernements d'extrême droite en Europe, j'estime qu’on est en droit de se poser des questions sur notre avenir commun. (Quelques exemples : la pénalisation de l'accès à l'IVG en Pologne, la discrimination/précarisation de la population LGBT+ en Hongrie. Tu peux regarder ce post de La Nuit Remue Paris pour en savoir plus)Alors, depuis le 10 avril je m'interroge sur ce qui a pu merder pour qu'on en arrive là. Puis, j'ai fait ce que je fais toujours dans ces moments là. Je suis allée à la rencontre de nageur·ses comme Aline, Alex, Charline ou Carole pour en parler. Des personnes minorisées et/ou militantes, en panique ou en arrêt technique, toutes choquées du duel qui se joue pour la première place du podium national.
Ce sont leurs voix que tu entends résonner autour de moi. Chacun·e nous raconte comment iel définit le sens et ce qui l’a amené·e à défendre cette vision. Merci encore de m'avoir confié votre histoire.
👉 Avec elleux, je me suis demandée : comment définir le sens en période de crise ?
🐟 La crise - snack break on
« La crise est alors la phase ultime de l'urgence, où se combinent de façon dynamique : l'importance des enjeux, l'incompréhension des événements, la contraction brutale du temps de réaction et la nécessité d'une action immédiate » Nicole Aubert, Le culte de l'urgence - La société malade du temps
C'est le retour du moment étymo
! « crise » vient du latin crisis. Ce terme vient lui-même du grec κρισις [krisis] qui signifie « action ou faculté de distinguer, de séparer d'où dissentiment, contestation, phase décisive d'une maladie ». On remarque plusieurs choses. 1/ La crise est inédite, complexe et demande une prise de recul de la part des personnes impliquées 2/ Pour résoudre une crise, il nous faut prendre une décision, trancher pour donner une réponse inédite – voire changer de paradigme 3/ Lorsqu'on fait face à une crise, on ne peut jamais gagner.On a souvent tendance à lier la crise à l’urgence qui, bien qu’étant un terme proche, n'est pas un synonyme. Urgence puise sa source chlorée du latin urgens qui signifie « resserrer, tourmenter, tenir à l'étroit »
. Une urgence n'est pas nécessairement une crise mais, en revanche, une urgence peut se transformer en crise lorsque celle-ci est mal gérée.Un exemple made in piscine 👉 Quand tu t'entraînes chaque jour sous pression en vue d’un objectif temporel proche, c'est une urgence. Mais, si cette situation s’éternise, le corps et l'esprit peuvent lâcher. C'est la crise – le burnout.
À échelle globale, l’accumulation des urgences (économiques / sociale / climatique, etc.) questionne un système proche de l’effondrement.
Si tu es plutôt quelqu'un de visuel·le, voici un résumé en une slide 👇
snack break off 🐚
🦐 Toi ça va ?
Check up
Militante intersectionnelle dans la région parisienne, Charline, la trentaine, est la personne derrière le compte Mon fils en rose. C’est aussi une des premier·es avec qui j’échange. Pour elle, l’urgence actuelle est politique. Son débit de parole – rapide – souligne d’ailleurs son émotion. « Aujourd’hui je me ch*e dessus ouais. J'ai peur pour nous, j'ai peur pour nos enfants. Dans 5 ans mon enfant a 10 ans. C'est un enfant racisé qui a pas de passing
, qui porte un nom... voilà... et qui par toutes les caractéristiques racistes est considéré comme faible »De son côté, Carole, 26 ans, est professeure de Français Langue Étrangère. Aujourd’hui en mission dans une métropole italienne, elle commence par mentionner sa classe de niveau seconde. Elle en vient rapidement à me faire état de l’anxiété de ses élèves qui côtoient quotidiennement la réalité des réfugié·es de guerre. Un·e de ses étudiant·es lui a ainsi confié : « je suis inquiet·e, je vais bientôt avoir 18 ans et j'ai peur d'être envoyé·e à la guerre [en Ukraine] ». Comment répondre lorsque l’on se pose soi-même des questions ? « J’y ai pensé aussi comme mon conjoint est réserviste ».
« Ça va bien s’passer »
Pour faire face à la panique, chacun·e a sa manière de se protéger.
Certain·es, comme Julie, « n’y croient pas », se disent que « ce n’est pas possible ». Comme pour l’élection de Trump, la pénalisation de l’IVG au Texas ou la guerre en Ukraine. Et puis, depuis le débat « l’écart s’est creusé. Rien n’est budgété dans son programme. Elle s’est décrédibilisée ». Mais à ce stade, s’adresse-t-on vraiment à notre raison ?
Puis, hier, mon ostéo me sort de but en blanc entre deux manip’ : « Si elle passe, toi et moi on peut se faire taper dans la rue ». La bonne ambiance était au rendez-vous.
Enfin, côté associatif, on ne se projette pas dans un pays avec l'extrême-droite au pouvoir. D'ailleurs, on a pas de stratégie pour faire face à la situation. Car se préparer, c'est déjà accepter que le pire puisse avoir lieu.
🐠 En bande synchronisée personne peut nous canaliser
Penser à demain
Une fois le choc passé, beaucoup ont choisi de répondre à la panique par l’action collective. Certain·es occupent les facs, d’autres prennent la rue ou des portes à Paris. Pour Charline, cette énergie déployée dans le bassin, c’est un peu celle du désespoir.
« Mon fils a déjà une conscience, une indignation, une capacité à dire quand quelque chose est raciste. On en parle parce qu'on en a pas le choix en tant que personnes minorisées. Évoquer l'insouciance de l'enfance c'est faux. C'est déjà ancré, construit, comme pour le sexisme. On a pas le choix que de le prendre à bras le corps parce que nos enfants y sont confrontés » Charline
Face au grand capital, la lutte
Pour Alex, cyber-militante parisienne (25 ans), ces crises à répétition trouvent leur racines dans le capitalisme. Pour elle, sa lutte « c'est faire en sorte d'établir des rapports de force grâce aux syndicats, manifestations, débats et lutter contre cette idéologie du profit et de la croissance infinie. Un de mes constats, c'est que si on n'impose pas de contraintes aux capitalistes et à leurs entreprises, ils sont en roue libre totale et sont prêts à intoxiquer, exploiter, voler... »
Or, lutter demande de la santé – mentale et physique –, et du temps, chose dont nous manquons cruellement dans un système qui nous demande de lui mettre à disposition des pans conséquents de notre existence. Selon Alex, c'est d'ailleurs dans ce détail que réside notre principale difficulté à faire front. « En nous bouffant au moins 35 heures avec le travail en entreprise, le temps restant est grignoté par les tâches ménagères, les courses, les loisirs, les repas avec les proches [...]. Individuellement c'est compliqué de s'engager, et collectivement c'est difficile de mobiliser les masses ».
Ce manque de temps et de moyens, c’est justement que Carole déplore depuis qu’elle a quitté son cadre urbain – bobo – pour l’Italie où l'environnement est au second plan. « J'ai la sensation de pas être très militante dernièrement. Je me dis mince mais si moi je vis ma vie en faisant attention, comment faire plus. Je me rends compte qu’à Grenoble c’était beaucoup plus simple, ici on ne trie même pas ».
Quels résultats ?
Mais, si l’émulation de groupe est essentielle, quels fruits porte-t-elle vraiment ? Pour Alex, la réponse est sans équivoque. L’important est de penser à nous, avant de se projeter dans un éventuel demain.
« J'ai un peu l'impression que tout est perdu face au capitalisme, que c'est un monstre trop difficile à déraciner. J'ai tendance à me dire qu'aujourd'hui ma 'lutte' se résume à essayer d'améliorer autant que possible les conditions de vie de tout le monde, d'essayer d'obtenir des victoires. Je pourrais juste laisser tomber et me renfermer dans ma bulle à lire des comics et mater des films/séries mais pendant ce temps-là y'en a qui crèvent la bouche ouverte en ce moment même donc même si tout semble perdu, faut quand même se battre pour aujourd'hui »
Carole, elle, n’évoque pas la suite. Dans son discours, j’entend surtout le besoin de s’entourer et de rassurer. L’organisation viendra ; mais plus tard.
« Mine de rien j'étais contente de voir aux élections le pourcentage de la gauche, je me dis qu'il y a encore des gens avec qui je partage des valeurs »
Et pour d’autres comme Aline ou Marine, l’élan collectif est secondaire. Le mot d’ordre : le self-care. Le reste passe après.
🐡 Exil et gonflement
« On pense de plus en plus à nous, on vit dans nos bulles, on est de plus en plus pas d'accord les un·es avec les autres. Sur mes réseaux, je vois que des gens d'accord avec ce que je dis. Si Le Pen passe, je vais prendre mon tiers-lieux avec mon potager » Marine, nageuse pro sous l’étendard Rhône-Alpin dans le domaine de la culture, 26 ans
« Je pense à la survie avant le sens. Pour moi c’est d’abord : soi, puis le groupe et le global » Aline, nageuse pro dans la grande distribution, 26 ans
Et, après tout, peut-être est-ce la meilleure manière de faire : partir de soi pour faire sens de ses actions collectives ? Définir le sens à échelle individuelle avant de s’investir auprès d’autrui.
Paradoxalement, parfois, l’urgence est telle qu’elle demande d’abord de prendre de la distance avant de plonger. C’est ce que me dit Anna, lycéenne pro en reprise d’études à Paris, avec la sérénité qui la caractérise : « Je suis dans une vibe de moine tibétain. Je médite pas mais j'essaie de laisser passer mes émotions sans les retenir. Pour avoir un regard calme sur la situation ».
D’une certaine manière, c’est comme s’élancer dans le grand bain. Prendre le temps de penser à soi, ses valeurs, ses besoins / envies PUIS choisir. Plutôt que de s’élancer tête baissée dans une ligne de nage qui ne nous correspond finalement pas. Tout ça parce qu’autour de nous, on s’est entendu·e dire que c’était ça « une carrière réussir ».
(Ci-dessous une pyramide du sens pastichant celle de Maslow illustrant ce qui, selon Aline, permet de faire sens 👇)
(À l’inverse, l’entonnoir d’affiliation où notre individualité se noie dans l’avis collectif👇)
👀 So what ?
« L'espoir c'est de se dire qu'on est là, entre personnes qui partagent ma peur, ma colère pour nos enfants, etc. c'est la clef » Charline
« La seule chose à faire c’est continuer à faire ce qu’on fait, en espérant continuer à politiser & convaincre de plus en plus de gens » Alex
« Les boomers ont suivi les règles, nous, on s'est rendu·es compte qu'elles n'allaient pas, mais on essaye de tirer notre épingle du jeu, de s'en sortir en jouant le jeu. Mais la génération d'après, ils ont plus le time. Eux, ils vont tout casser » Aline
Dans son école primaire, Louise – la petite sœur de Carole – a monté un programme « votez courgette » pour les élections. Son objectif ? « Qu'on ait plus de vert ». Cette même Louise avait déjà demandé à ses parents il y a deux ans « Est-ce que le président il pollue ? ».
Cette micro eco-anxiety en dit long sur les préoccupations des générations à venir. Peut-être est-ce le signe que la jeunesse, acculée au mur, va tout casser dans la piscine.
« Il y a deux choses différentes. Il y a le pouvoir et il y a la puissance. Et la puissance n'est pas forcément dans les mains du pouvoir. » Anne Cécile Mailfert citée dans l'épisode Enquête : Jeunesse, retour à la politique ? (2/2) de programme B par Binge Audio
Alors, pourquoi ne pas y aller ? Devenons puissant·es si cela peut nous amener le pouvoir.
🛠 Quelques ressources avant de se quitter
👉 La Plouf-letter sur la signification de la quête de sens
👉L’épisode Au bord du bassin avec Camille où l’on avait parlé exemplarité (militante) et recherche d’équilibre
👉 La chronique de Waly Dia sur le premier tour pour se dire que, quoiqu'il arrive, les nageur·ses du wokistan sont dans la piscine
👉 Les programmes ré-action de makesense pour s’engager en collectif
👉 Le post patreon de Léane Alestra du podcast Mécréantes sur les prochains rassemblements collectifs à Lyon et Paris
👉 La tribune des Normalien·nes occupant l’ENS Jourdan sur Libération
👉 Le film Don't look up qui illustre comment on peut réagir face à une crise
👉 Le programme La Culbute pour explorer ta relation au changement by Our Millennials Today
Ça t’a plu ? Fais passer le mot !
Tu veux jaser sur ton parcours pro / ton vécu en études ? Rendez-vous sur Linkedin, insta ou via mail (hello@thewhy.xyz)
Tu as du temps pour me faire un retour sur cette édition et/ou un outil à me partager pour l’ajouter à la Toolbox de l’orientation ? PLEASE DO, pour la prise de contact c’est au-dessus ☝️
À très vite pour un nouveau plongeon 🐋
Apolline
Tu peux aussi nous retrouver sur instagram : https://www.instagram.com/ourmillennialstoday/
Je te vois venir : ceci est une ref, pas une faute d’orthographe
Why 30 is not the new 20, Megan Jay, TED, 2013
Reconnais qu’il t’aurait manqué si je l’avais remisé au local technique
C’est un peu flou mais t’as capté. Source : Le culte de l'urgence - La société malade du temps par Nicole Aubert
« Le passing est la capacité d'une personne à être considérée comme membre d'un groupe social autre que le sien » Wikipédia