Ploufletter

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L'or sinon rien - Immigration, orientation et devoir de réussite

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L'or sinon rien - Immigration, orientation et devoir de réussite

Viser la lune, ça te fait peur ?

Apolline 🐋
Jun 25, 2022
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La Plouf-letter Our Millennials Today est un espace oĂč l'on parle orientation et quĂȘte de sens sur fond de sociologie et mauvais jeux de mots. AthlĂšte confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue 🎣

Tu verras, ici on Ă©voque beaucoup le monde de la natation pour faire rĂ©fĂ©rence au fait de se lancer « dans le grand bain » Ă  l’ñge adulte. La piscine, c’est le monde – du travail le plus souvent. Le couloir de nage, c’est la voie que l’on choisit. Les diffĂ©rentes techniques de nages, les paliers que l’on passe. Enfin, les nageur·ses sur la planche ou dans le bassin, ce sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quĂȘte de sens. Si besoin, tu peux consulter ce lexique natatoire !

Tu peux aussi

  • Plonger dans le carnet de jeu À l’eau pour lancer ton introspection

  • DĂ©couvrir le programme introspectif La culbute pour apprendre Ă  te connaĂźtre et tracer ta voie

  • Suivre La piscine sur Instagram ou Linkedin

  • T’abonner Ă  la Ploufletter si on t’a transfĂ©rĂ© cette Ă©dition

Sur ce, bonne sĂ©ance 🐋


🐟 Avant le plongeon

Coucou toi ! Comment se passe la reprise en eaux libres ? Avec ce soleil et ces tempĂ©ratures, on s'imaginerait presque en bord de pacifique, non ? Petite recommandation de nageuse Ă  nageur·se 👉 essaye d’effectuer tes sorties en dĂ©but ou fin de journĂ©e, cela pourrait t'Ă©viter quelques dĂ©convenues.

Par ici le courant est fort mais l'endurance commence Ă  ĂȘtre meilleure que les mois prĂ©cĂ©dents – hallelujah. J'ai mĂȘme le temps eu de passer Ă  la piscine Molitor ce mois-ci (une sĂ©ance fort sympathique dont tu retrouveras certains propos ici!)

Aujourd'hui on parle devoir de rĂ©ussite, mĂ©ritocratie et partage d'expĂ©rience. Cette Ă©dition fait suite au podcast Nous sommes la gĂ©nĂ©ration qui shifte oĂč je recevais Chiguecky et Thu-An, co-fondatrices d’Origines TV. Échanger autour de leur parcours de nage et de leur mĂ©dia passeur d'histoires d'immigration a fait germer beaucoup d'interrogations. J'ai donc Ă©tĂ© Ă  la rencontre d'autres nageur·ses partageant ce vĂ©cu pour approfondir le sujet ma foi fort intĂ©ressant !

Ce billet fait état de ces réflexions menées dans le bassin.

Fasten your bouĂ©e, we're about to take off đŸŠâ€â™€ïž

👋 On recrute des nouveaux nageur·ses. Tu veux rejoindre la team ? c’est par ici👇


🩑 qui a le droit – de (se) raconter ?

le monopole du récit

« l'histoire appartient aux vainqueur·ses »

Dans l'ouvrage GĂ©nĂ©ration surdiplĂŽmĂ©e. Les 20% qui transforment la France, Jean-Laurent Cassely et Monique Dagnaud parlent du rĂŽle essentiel que jouent les Ă©lites dans les changements structurels. À l'image de la loi de Pareto, ce sont les 20% des Ă©tudiant·es les plus diplĂŽmé·es qui dessineraient le paysage Ă©conomico-socio-culturel de demain.

Il en va de mĂȘme pour la culture oĂč seules certaines voix·es s'expriment dans le bassin : celles des Ă©lites. Les raisons en sont multiples :

  1. Elles manient le langage Ă  la perfection. Elles sont le mieux Ă©quipĂ©es pour partager leur expĂ©rience et leur vision de la sociĂ©tĂ© natatoire de la maniĂšre la plus galvanisante possible (l’uniforme palmes, masque et tuba de compĂ©tition tu connais)

  2. Elles se sentent légitimes à porter leur voix·es dans l'espace public. Voir et/ou entendre les récits de personnes à la trajectoire de nage similaire rend la prise de parole facile

  3. Elles possÚdent les moyens de production (et financiers) nécessaires à la création et la diffusion de leur récit

  4. Elles ont accĂšs Ă  un rĂ©seau (capital social) pour diffuser leur rĂ©cit – auprĂšs de leurs pairs

Cette « confiscation » de la parole narrative a donc longtemps subjectivĂ© les catĂ©gories sociales infĂ©rieures au profit de celles dominantes. Ce manque de reprĂ©sentation a pu encourager une certaine reproduction sociale au sein de ces swimming teams manque d’exemples alternatifs.

de la subjectivité à l'agentivité

« Traductore traddutore »
1

Cette mĂ©dia·tisa·tion des rĂ©cits d’une catĂ©gorie sociale par une autre questionne la diversitĂ© prĂ©sente dans la piscine, sa reprĂ©sentation ainsi que l’authenticitĂ© des voix·es relayĂ©s.

La rĂ©volution numĂ©rique a dĂ©mocratisĂ© l'accĂšs aux moyens de production, permettant l'Ă©mergence d'une foultitude de nouveaux·elles crĂ©ateur·rices aux trajectoires de nage alternatives comme le nageur italien Khaby Lame. Cette (re)prise de pouvoir par l'action avait d'ailleurs fait l'objet d'une discussion Ă  l'Ă©tĂ© du Podcast au Ground Countrol. Au cours de la sĂ©ance, le duo des MĂ©nestrel·le·s avait appelĂ© les nageur·ses issu·es de minoritĂ©s – raciales ou sociales – Ă  s'emparer de ces nouveaux outils pour se raconter en leurs propres termes. Ceci pour Ă©viter de se voir croqué·es par un·e Ă©niĂšme journaliste ne partageant pas leur quotidien.

Passer par le podcast, la vidĂ©o, la newsletter et autres moyens « pirates » seraient donc les moyens de mener cette « guĂ©rilla mĂ©diatique » en se rĂ©appropriant sa trajectoire de nage (en faisant un bon f🐋ck Ă  la sociĂ©tĂ©).

Cette question de la représentation était le premier sujet abordé avec un·e des nageur·ses venu·es partager leur expérience ce mois-ci. Je te laisse en leur compagnie.

J'espÚre avoir su rester fidÚle à leurs voix·es, merci encore pour tous ces échanges.

en bande homogénéisée, personne ne pense à la diversité

« Si on ne le fait pas, qui nous racontera ? » me lance Fred, « Aujourd'hui ce sont les médias qui nous montrent, mais qui se reconnaßt dans ces images ? »

Nous sommes en mai, Ă  Lyon. Il est 18h et l'Ă©vĂšnement startup du jour s’achĂšve. Les tables, quasi vides il y a quelques minutes, se remplissent Ă  vue d'Ɠil. Le bourdonnement des conversations remplace progressivement le faux silence des claviers. Un nageur de mon club de nage Ă©tudiant me rejoint et me prĂ©sente son ami, Fred, vingtenaire, d'origine africaine. Celui-ci s’éclipse quelques minutes pour pitcher son projet auprĂšs « d'un reuf » occupant une position stratĂ©gique dans une licorne de la healthtech française. Une fois sa mission accomplie, il nous revient tout sourire. « Faut ĂȘtre solidaire » ponctue-t-il, goguenard, avant d’ajouter « dans cet environnement, j’ai l’impression d’ĂȘtre entourĂ© de clones ».

En un regard, je remarque la monochromie du milieu dans lequel nous nous trouvons. Il a raison. Toutes ces personnes qui se ressemblent, c'est intimidant – presque comme une photo Welcome To The Jungle.

La conversation continue et, au fur et Ă  mesure, plusieurs similitudes apparaissent entre son discours et celui de Lina, Chiguecky, Thu-An ou encore Anne – que tu vas entendre dans cette Ă©dition.


🩀 « il y a certains mĂ©tiers qui font que tu rĂ©ussis ou pas dans la vie » thu-an

merci à ce bon vieux charlemagne

Dans les propos de Fred, on entend rapidement, en fond, l'envie de prendre sa revanche qui fait trop peu de place aux personnes de sa carnation mĂȘme s’il « ne croit pas au racisme ». Pour lui, rĂȘver, c’est se crĂ©er un futur « grand » sur le podium de la piscine, Ă  l’inverse de celui que lui prĂ©disaient certain·es de ses profs au lycĂ©e. In fine, la revanche dans le bassin s'est d'abord effectuĂ©e dans l'effort scolaire. Pour lui comme les autres, l'Ă©cole reprĂ©sentait un tremplin pour changer de catĂ©gorie Ă  la FĂ©dĂ©ration Française de Natation.

« J’avais intĂ©riorisĂ© qu’il fallait que je m’échappe de ma condition sociale par l’école et la mĂ©ritocratie. À chaque fois que j’étais avec des membres de ma famille ou mĂȘme des ami·es on me disait « il faut que tu travailles bien Ă  l’école, que tu t’en sortes » » Chiguecky – Au bord du bassin

Comme tous·tes les nageur·ses de la piscine Our Millennials Today, Lina a la vingtaine. Je la rencontre un dimanche matin sur zoom. Elle m’accueille en peignoir de repos dans sa chambre, thĂ© en main, prĂȘte Ă  me partager son histoire. AprĂšs avoir plantĂ© le dĂ©cor, elle m’explique comment ses Ă©tudes l’ont aidĂ©e dans sa progression sociale

« J'ai grandi dans une famille d'origine marocaine dans un quartier Ă  l'Ă©poque sensible du XXĂšme arrondissement. C'Ă©tait pas Sarcelles ou les Muraux mais c'Ă©tait – Ă  l'Ă©poque – un peu chaud. Sur le plan ethnique c'Ă©tait super diversifiĂ© [...].

Ça a forgĂ© l'image de ce qu'Ă©tait la France et de ce Ă  quoi devrait ressembler la sociĂ©tĂ© française. J'avais projetĂ© l'image de mon tout petit quartier dans mon arrondissement Ă  l'Ă©chelle de la sociĂ©tĂ©. En grandissant je me suis rendue compte qu'il y avait un sacrĂ© dĂ©calage entre les deux [
].

Depuis enfant j'avais intĂ©riorisĂ© le fait que l'Ă©cole et le travail Ă©taient super importants. C’étaient mes alliĂ©s. Je savais que l'Ă©cole, c'Ă©tait le salut. » Lina

Ce besoin de rĂ©ussir – transmis par la famille – devient Ă  la fois un but et effort collectif. L’objectif final : l'Ă©lĂ©vation sociale.

« Quand j’étais petite je voulais ĂȘtre mĂ©decin, pĂ©diatre plus exactement. Et jusqu’à mes dix ans toute ma famille disait « elle va devenir la mĂ©decin de la famille ». J’ai eu cette injonction pendant trĂšs longtemps. Je pense qu’il y a aussi ce truc dans ma famille que pour rĂ©ussir il faut ĂȘtre mĂ©decin, ingĂ©nieur, avocat etc. il y a certains mĂ©tiers qui font que tu rĂ©ussis ou pas dans la vie [..].

Moi je voulais ĂȘtre journaliste, on m’a dit de pas le faire parce que c’était pas viable » Thu-An – Au bord du bassin

« Je me souviens que quand j’étais petite jusqu’à bien adolescente, j’avais honte du mĂ©tier de mes parents [
]. J’étais toujours hyper mal Ă  l’aise parce que mon pĂšre Ă©tait dans le bĂątiment et ma mĂšre dans le mĂ©nage, [
]. Je me disais que c’était socialement pas respectĂ©, pas valorisant.

J’avais aussi une forme de pression familiale Ă  rĂ©ussir parce que de toutes les façons il fallait mieux faire que les parents. Et mieux que les parents c’était forcĂ©ment en faisant de grandes Ă©tudes et ĂȘtre devenant avocat ou mĂ©decin » Chiguecky – Au bord du bassin

speedo et growth moula

Dans ces conditions, difficile de se soustraire au schéma de réussite familial pré-établi.

« La rĂ©ussite dans ma famille est encore fortement liĂ©e Ă  l’argent [
] Bien sĂ»r que mes enfants feront ce qui leur plaĂźt, du moins je le leur souhaite. Moi, je veux constituer un matelas financier confortable. On est la gĂ©nĂ©ration entre deux » me glisse Auguste au cours de notre rencontre. Ce jeune diplĂŽmĂ©, la vingtaine et consultant depuis peu exprime ainsi la dichotomie prĂ©sente entre ses envies de nageur et les attentes de son club d'entraĂźnement familial.

Dans l’émission RĂ©ussite scolaire, quel rĂŽle pour les parents ? Ă  France Culture, Louise Touret explore la maniĂšre dont on aborde cette idĂ©e selon notre milieu social. Il en ressort, entre autres, que les trajectoires de nage alternatives oĂč rĂ©ussite rime avec crĂ©ativitĂ© et/ou Ă©panouissement est l'apenage des CSP+. À l'inverse, les familles plus modestes auront tendance Ă  la dĂ©finir selon des critĂšres plus tangibles comme le mentionnent les nageur·ses s'exprimant ici.

une pyramide pour les combler tous

qui s’occupe des palmes ? de la combi ?

De mĂȘme que les rĂŽles diffĂšrent dans une Ă©quipe de relais, le rang de naissance dans une adelphie

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dĂ©finit les responsabilitĂ© avec lesquelles le·a nageur·se composera pendant sa trajectoire – (im)matĂ©rielle·s ou non.

« Mon frĂšre est allĂ© vers sa passion, moi je n'y ai mĂȘme pas pensĂ© » Chiguecky – Au bord du bassin

AprĂšs avoir contractĂ© un prĂȘt Ă©tudiant pour payer sa scolaritĂ© en Ă©cole de commerce qu'elle a rĂ©cemment terminĂ©, Anne paye dĂ©sormais les frais de location de l'appartement de son frĂšre dans la proche banlieue parisienne. Son salaire de jeune cadre lui permet ainsi de soulager ses parents d'un coĂ»t natatoire supplĂ©mentaire. Cette charge, Chiguecky et Thu-An en ont Ă©galement parlĂ© Au bord du bassin.

« Dans la gĂ©nĂ©ration des premiers enfants d’immigrĂ©s, je suis pas juste responsable de mon avenir, je suis responsable de sortir de la misĂšre tous les miens [
]. Tu ne peux pas juste gagner le SMIC [
]. Ça met une pression quand mĂȘme supplĂ©mentaire dans ton choix d’orientation. Tu sais que tu n’es pas responsable que de toi, mais de toute ta famille. » Chiguecky – Au bord du bassin

« Mon grand frĂšre ne s’est pas posĂ© la question de s’il pouvait faire un truc qu’il aimait. Il a juste fait ce qu’il devait faire et il m’a aidĂ© Ă  payer mes Ă©tudes [
]. moi derriĂšre j’ai pu me permettre un peu plus que lui de me poser la question « est-ce que j’aime ce que je fais ? Et si j’aime pas ce que je fais, est-ce qu’il y a un moyen de faire un truc que j’aime ? » Thu-An – Au bord du bassin

👉 Mais rĂ©ussir financiĂšrement est-il suffisant pour se tailler une place au sein du gratin natatoire ?


snack break 🐚

Ci-dessous un extrait de la plouf-letter sur le mĂ©rite oĂč nous avions fait appel Ă  un ami nageur (sociologue) pour parler capitaux👇

le capital au multiples facettes

« Je suis devenu blanc quand j'ai revendu ma boßte à Bernard Arnault. Quand je sors de chez moi le matin les visages me renvoient « c'est un bougnoule » »

On l’oublie souvent, mais les sociologues ont identifiĂ© trois types de capital.

  1. Le capital Ă©conomique qui repose essentiellement sur patrimoine financier (et donc le poste qui va avec puisqu’on a tendance Ă  associer un titre Ă  une fiche de paie)

  2. Le capital social, soit notre rĂ©seau. Celui-ci est Ă  la fois hĂ©ritĂ© de notre famille et cultivĂ© via nos Ă©tudes ensuite – les Ă©coles de commerce jouent beaucoup lĂ -dessus

  3. Le capital culturel, aka l’ensemble des connaissances (savoir-faire, savoir-ĂȘtre) acquises par un individu – souvent sanctionnĂ©es par un diplĂŽme. Il englobe Ă©galement nos habitudes culturelles, dĂ©veloppĂ©es pendant notre enfance via l’éducation familiale

C’est l’addition de ces trois capitaux qui constituent un individu et son statut « final » selon Bourdieu.

Lorsque l’on parle mĂ©rite et rĂ©ussite, on insiste gĂ©nĂ©ralement sur une des trois variables. Pour Radmane, c’était le capital Ă©conomique qui primait sur les deux autres dans un premier temps.

snack break off 🐚


🩞 t’as notĂ© le code du casier ?

En France il faut 6 générations pour passer d'un revenu faible à un revenu moyen, mais existe-t-il des statistiques similaires concernant le patrimoine socio-culturel ?

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« Parfois j'ai l'impression de devoir prouver que je sais bien m'exprimer. Je galÚre et je surperforme alors qu'en face la personne va caler un terme élaboré que je ne connais pas et je me dis « ha ouais ok je vais devoir apprendre à bien l'utiliser » et c'est reparti pour un tour. Mes collÚgues ont l'impression que je parle peu mais c'est juste que j'ai peur de commettre un impair »

Cette citation pĂȘchĂ©e en plein courant vient d’une discussion avec Victoire. Cette jeune cadre issue de la banlieue parisienne a gravi les Ă©chelons du podium grĂące Ă  ses Ă©tudes. Mais, comme tu peux le lire, cette ascension due aux institutions rĂ©publicaines a occultĂ© certains aspects, crĂ©ant malgrĂ© tout un retard de chrono dans son dĂ©veloppement d’athlĂšte.

La rĂ©ussite, comme le changement (total) de statut est insidieux. Il s’observe dans la maniĂšre d’enfiler sa combinaison, de s’exprimer, voire mĂȘme de plonger ; les mĂ©dailles ne suffisant pas Ă  juger de la qualitĂ© d’un·e nageur·se. Cette complexitĂ©, certain·es l’ont Ă©tudiĂ©e, voire anticipĂ© :

« Mes parents, leur investissement numĂ©ro un, c'est tout ce qui touchait Ă  l'Ă©ducation [...]. Ils ont trouvĂ© les ressources pour nous inscrire au conservatoire mes sƓurs et moi. On est quatre dans la famille, mais pour eux c'Ă©tait tellement important qu'on ne soit pas au contact avec la rue qu'ils dĂ©ployaient vraiment tous les moyens pour qu'on ait une bonne Ă©ducation.

Je pense que l'apparence et le style entraient en jeu avec ça. Ma mĂšre avait compris que c'Ă©tait important qu'on prĂ©sente bien [
].

Je me suis sentie hyper seule. Je venais d'un quartier trÚs populaire et j'ai toujours habité dans une cité. Pour moi c'était impossible d'aborder la question du lieu de vie, de mon lieu d'habitation. C'était un truc tabou, fallait pas que j'en parle.

Je me disais toujours "il ne faut que personne ne sache oĂč t'habites, ne dĂ©couvre d'oĂč tu viens. Ma couverture serait grillĂ©e » Lina

Dans ces propos, on comprend que craquer le code des Ă©lites devient presque un marathon Ă  temps plein. Marathon au cours duquel l’aspirant·e adhĂ©rent·e au club se doit de superformer son rĂŽle sans cesse 
au risque de se faire Ă©vincer du cercle.


💡il est venu le temps de l'Ă©tymo

Ici on ne laisse personne sur le bord du bassin, et encore moins le moment étymo

Mérite tire ses racines du verbe mereo qui signifie « gagner, mériter ». Fun fact, le verbe possÚde une version passive, mereor.

Donc, à l'inverse du respect, le mérite ne se prend pas, il se demande/donne. Les actions d'un·e individu·e n'auront de valeur que celle que ses pairs voudront bien lui donner.

Dans son témoignage Lina a ainsi évoqué l'aspect essentiel que joue le regard extérieur sur l'intégration.

PoussĂ© Ă  l'extrĂȘme, le droit de regard sur le mĂ©rite se matĂ©rialise dans le systĂšme de notation sociale. Cette organisation panoptique

4
rend les évolutions sociales dans la piscine d'autant plus difficiles d'accÚs puisque chacun·e défend sa position tuba et gants de plongée.

L’élite quand tu veux t’intĂ©grer mais que tu te ramĂšnes en claquettes-chaussettes au cocktail de bienvenue


✋ montrer palme blanche

accepter l'entre-deux

Être transfuge de classe, c'est Ă©voluer entre deux eaux, sortir des lignes de nage connues pour – essayer – d'en intĂ©grer de nouvelles. Mais entrer dans le club fermĂ© des 20% dont je parlais prĂ©cedemment, encore faut-il cocher toutes les cases.

Parfois, comme le mentionne Chiguecky Au bord du bassin, la rencontre entre les deux mondes natatoires est vécu comme un choc. Elle commence par me parler de son expérience postbac, avant d'évoquer l'homogénéité oppressante de l'école de commerce

« La prĂ©pa c'est la premiĂšre fois qu'on me renvoyait Ă  ma condition de banlieusarde [
]. On m'a fait comprendre que c'Ă©tait une tare de venir de banlieue » « J'avais fait exprĂšs de pas passer des parisiennes et je pensais naĂŻvement qu'Ă  Lyon il y aurait une mixitĂ© » Chiguecky

Thu-An quant Ă  elle me rappelle qu'ĂȘtre issu·e « de la diversitĂ© » signifie aussi devoir se confronter Ă  certains clichĂ©s dont tu n'avais pas conscience.

Tu passes ta vie dans un endroit et tu te dis "c'est normal" et t'arrives dans un milieu et on te renvoie à’ ce truc de "ha parce que tu viens de banlieue". Moi on m'a dĂ©jĂ  demandĂ© "t'es sĂ»re t'as assez d'argent pour sortir ?" alors que t'en sais rien » Thu-An – Au bord du bassin

Et, une fois les portes du nouveau club de nage passées, une certaine solitude peut émerger.

« Quand je dĂ©barque Ă  un Ă©vĂšnement ou dans une soirĂ©e organisĂ©e par les gens que je connais j'aime bien faire cet exercice oĂč je regarde autour de la salle pour voir qui est diffĂ©rent. C'est assez drĂŽle parce qu'il y a plein de soirĂ©es oĂč [soupir] j'Ă©tais tout·e seul·e. Quand t'es deux je t'en parle mĂȘme pas » Lina


👀 So what ?

Une fois le podium atteint, comment (re)dĂ©finit-on la rĂ©ussite ? Pour les nageur·ses du jour la rĂ©ponse est sans Ă©quivoque : par le partage. L’objectif ? Transmettre on expĂ©rience, partager des rĂ©cits inspirants, et outiller les prochaines gĂ©nĂ©rations de nageur·ses Ă  Ă©voluer dans la piscine.

Bref, la jouer collectif pour (re)prendre le pouvoir sur sa trajectoire de nage.

Pour Maboula Soumahoro, professeure et Ă©crivaine, rĂ©ussir est une maniĂšre de visibiliser sa population. Pour elle, le simple fait de donner Ă  voir aux jeunes espoirs du bassin que l’on peut ĂȘtre une femme noire professeure d’universitĂ© normalise un statut inaccessible Ă  son Ă©poque.

Mais pour les autres, c’est s’emparer de l’espace natatoire mĂ©diatique qui permet d’effectuer cette passation.

« Je ressens un besoin de transmission. Moi ma rĂ©ussite personnelle elle est beaucoup plus tournĂ©e vers ça, construire une famille, que ce que je fais dans la vie et la stabilitĂ© [
]. Ce qu'on fait avec origines c'est passer le mot mais ça va dans les deux sens pour transmettre nos histoires et nos expĂ©riences dans ce monde » Thu-An, Au bord du bassin

« Je me disais que quand je serai prĂȘte, « il faudra que j'en fasse un truc, de ce cheminement »» Lina

« Si on ne le fait pas, qui nous racontera ? » me lance Fred, « Aujourd'hui ce sont les mĂ©dias qui nous montrent, mais qui se reconnaĂźt dans ces images ? Plus jeune j’avais créé un mĂ©dia pour raconter nos vies »

Et pour nous, nageur·ses allié·es, relayons ces rĂ©cits d’entraĂźnement, de victoire et d’avancĂ©es. Ouvrons nos lignes de nage Ă  d’autres visions !


🛠 Quelques ressources avant de se quitter

👉  Le dernier Ă©pisode de PloufđŸŠâ€â™€ïž qui s’interroge sur la diversitĂ© des parcours Ă©rigĂ©s comme modĂšles dans l’orientation. Pour l’occasion, j’y reçois Armand, Lifeguard Ɠuvrant dans la piscine Tu feras quoi plus tard ? aprĂšs avoir exercĂ© dans celle Diversidays

👉  Avec le travail de Jennifer Padjemi autour de la reprĂ©sentation. Vous pouvez la retrouver sur son podcast Miroir Miroir produit par Binge Audio ou lire son ouvrage FĂ©minismes et pop culture

👉  En Ă©coutant le podcast L’escalier de Lamia ou encore celui Started from the banlieue de Beaux parleurs. Tous les deux donnent la parole Ă  des nageur·ses au parcours singulier pour inspirer celleux en quĂȘte de modĂšles plus divers

👉  Comment parler diversitĂ© et histoires d’immigration sans recommander la websĂ©rie et les articles Origines TV ? Avec leur mĂ©dia Chiguecky et Thu-An relaient les voix·es de nageur·ses dont elles partagent l’histoire.

👉  Avec le podcast Kiffe ta race de Grace Ly et Rokhaya Diallo produit par Binge Audio qui interroge la sociĂ©tĂ© sous le prisme racial


Ça t’a plu ? Fais passer le mot !

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👉 Cette Ă©dition a rĂ©sonnĂ© avec ton expĂ©rience de nageur·se ? Envoie moi un email si tu souhaites tĂ©moigner

👉 Tu ressens le besoin d’ĂȘtre accompagné·e dans ta rĂ©flexion professionnelle ? Tu peux aller faire un tour du cĂŽtĂ© du shop de La piscine ou m’envoyer un email pour Ă©changer sur tes besoins

👉 Tu fais partie d’une structure Ă©ducative / entreprise et ces sujets d’orientation / quĂȘte de sens animent vos Ă©quipes ? Envoie moi un email (hello@thewhy.xyz) si tu veux que l’on en discute ensemble


À trùs vite pour un nouveau plongeon 🐋

Apolline

Tu peux aussi nous retrouver sur instagram : https://www.instagram.com/ourmillennialstoday/

1

Proverbe italien qui signifie « le·a traducteur·rice est un·e traßtre·sse »

2

Terme Ă©picĂšne dĂ©signant des personnes issues d’un mĂȘme lignage (source : Contrepoint - Adelphie par Pierre Grelley, Cairn, 2012)

3

Si tu as eu courant de telles statistiques envoie moi un mail parce que ça m’intĂ©resse grandement !

4

Voir Surveiller et punir de Foucault (1975) – sorti de ma manche de peignoir version pdf ici

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