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Se libérer des notes - Valeur et productivité

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Se libérer des notes - Valeur et productivité

Mission impossible ?

Apolline 🐋
Feb 23, 2022
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Se libérer des notes - Valeur et productivité

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La Plouf-letter Our Millennials Today est un espace oĂč l'on parle orientation et quĂȘte de sens sur fond de sociologie et mauvais jeux de mots. AthlĂšte confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue 🎣

Tu verras, ici on Ă©voque beaucoup le monde de la natation pour faire rĂ©fĂ©rence au fait de se lancer « dans le grand bain » Ă  l’ñge adulte. La piscine, c’est le monde – du travail le plus souvent. Le couloir de nage, c’est la voie que l’on choisit. Les diffĂ©rentes techniques de nages, les paliers que l’on passe. Enfin, les nageur·ses sur la planche ou dans le bassin, ce sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quĂȘte de sens. Si besoin, tu peux consulter ce lexique natatoire !

Tu peux aussi

  • Plonger dans le carnet de jeu À l’eau pour lancer ton introspection

  • DĂ©couvrir le programme introspectif La culbute pour apprendre Ă  te connaĂźtre et tracer ta voie

  • Suivre La piscine sur Instagram ou Linkedin

  • T’abonner Ă  la Ploufletter si on t’a transfĂ©rĂ© cette Ă©dition

Sur ce, bonne sĂ©ance 🐋


🐟 Avant le plongeon

« À reprise de nage prĂ©maturĂ©e, engelures assurĂ©es » Proverbe non inventĂ©

Coucou toi, comment vas-tu ? Ça fait longtemps qu’on ne s’était pas retrouvé·es pour une sĂ©ance de nage ensemble. Ça m’avait manquĂ© !

J’espĂšre que ton retour Ă  l’eau le mois dernier s’est bien passĂ©. Pour moi, c’était plutĂŽt new year lessivĂ©e me que cotillons et cĂ©lĂ©bration. J’ai fini 2021 les abdos en vrac (l’aquabike m’a tuer), et 2022 a commencĂ© en ventriglisse : la piscine a Ă©tĂ© acceptĂ©e pour rejoindre le centre d’entraĂźnement d’Arty Farty (HĂŽtel71). J’ai donc repris le crawl pour quitter Paris, chercher un appartement Ă  Lyon et relancer mon activitĂ© en freelance

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, le tout sur fond de création de contenu. Un beau programme pour réveiller mes muscles engourdis par les eaux hivernales.

Mais trĂȘve de discussion et place Ă  la natation ! Aujourd’hui, on parle notes. À l’origine de cette rĂ©flexion se trouve le dernier Ă©pisode d’Au bord du bassin avec Jana. Au cours de celui-ci, l’on a beaucoup parlĂ© de notre relation Ă  la notation. Depuis, je m’interroge sur l’influence que peut avoir ce systĂšme sur nos maniĂšres de penser, de s’orienter et de travailler.

Fasten your bouĂ©e, we’re about to take off đŸŠâ€â™€ïž

accurate picture of la fatigue m’éclatant au sol

👋 On recrute des nouveaux nageur·ses. Tu veux rejoindre la team ? c’est par ici 👇


🐙 La boule et zĂ©ro

(Ok le jeu de mots était nul)

À l’origine, on ne notait pas. On s’appuyait sur un systĂšme de boules de couleur pour signifier au candidat s’il Ă©tait reçu ou non Ă  l’examen. Simple, basique. Mais alors, qui a eu cette « folle idĂ©e » de chronomĂ©trer nos performances ? Car pour une fois, « ce sacrĂ© Charlemagne » n’y est pour rien.

« j’ai des amis de haut rang (et bourré·es de talents) »

C’est aux jĂ©suites que l’on doit l’approche compĂ©titive de l’enseignement. Ce collĂšge, créé au XVIĂšme siĂšcle par le maĂźtre-nageur Ignace de Loyola

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 « a pour objet de former une élite intellectuelle et religieuse, « des soldats de Dieu », fers de lance de la Contre-Réforme
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 ». DĂšs sa fondation, la pĂ©dagogie jĂ©suite diffĂšre avec celle de son Ă©poque. Outre le fait qu’aucun chĂątiment corporel n’y est autorisĂ©, ce club d’entraĂźnement est ouvert Ă  tous
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, indĂ©pendamment de l’origine sociale des aspirants crawleurs. L’objectif est d’élargir les rangs de leur Ă©quipe de natation pour mieux faire front face Ă  « la menace protestante », l’aristocratie ne remplissant plus ce rĂŽle.

Pour encourager les Ă©lĂšves Ă  se dĂ©passer, la compĂ©tition est omniprĂ©sente. Chaque classe est divisĂ©e en deux groupes rivaux – les Romains et les Carthaginois – s’opposant sur le terrain de guerre scolaire. Au cours de l’annĂ©e, les professeurs Ă©valuent le niveau de maĂźtrise de chacun dans diverses disciplines natatoires Ă  l’aide d’un systĂšme de points. De leur addition dĂ©coule un classement. L’enjeu y est double car, si l’opposition est avant tout collective, l’établissement d’une hiĂ©rarchie interne pare Ă©galement la compĂ©tition d’un aspect personnel. Une fois la saison terminĂ©e, le classement – et la notation – dĂ©cide·nt des de l’évolution (ou non) Ă  la catĂ©gorie supĂ©rieure.

Il faudra attendre le XVIIIĂšme siĂšcle, et le vĂ©tĂ©ran nageur Gaspard Monge pour que le procĂ©dĂ© d’évaluation s’affine. Celui-ci utilise un systĂšme lettrĂ© (de a Ă  g) pour Ă©valuer les compĂ©tences des candidats au concours d’officiers de la marine

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.  Ceci lui servira ensuite de modĂšle pour Ă©laborer le barĂšme sur 20 adoptĂ© dans son Ă©cole – Polytechnique. C’est Ferry qui dĂ©mocratisera cet instrument de mesure avec les lois de 1880
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. 

«bien sûr que je le vaux bien » 

Cette conception initiale de l’évaluation illustre bien notre conditionnement Ă  :

  1. vivre dans un climat de compétition constante (diviser pour mieux régner tsé)

  2. conditionner notre valeur personnelle Ă  notre performance

  3. devoir constamment travailler Ă  prouver cette valeur temporellement limitĂ©e (au trimestre / Ă  l’annĂ©e / etc.)

In fine, la note est un moyen de se faire reconnaĂźtre par ses co-nageur·ses en tant que personne de valeur. Cette distinction est d’ailleurs trĂšs polarisĂ©e puisqu’on peut se diffĂ©rencier en tant que « nageur·se d’excellence » ou, Ă  l’inverse, en devenant un·e « cancre » dont les piĂštres performances plombent l’équipe. 


🩀 « tu es arrivé·e combien toi ? »

avoir un bon chrono, ça s’entretient

Je me souviens d’une fin d’entraĂźnement oĂč un·e maĂźtres·se-nageur·se nous avait dit « c’était super, mais je n’ai mis aucun 20. Vous comprenez : rien n’est jamais parfait »

Cette anecdote remonte Ă  l’école primaire. MĂȘme si, depuis, personne n’a verbalisĂ© de nouveau une telle approche de la notation, je trouve qu’elle illustre Ă  merveille son esprit. On lie dĂšs notre jeunesse valeur et rĂ©sultats, tout en sachant que la note maximale est hors d’atteinte, quelque soit notre implication. Comme si cette asymptote avait pour vocation de nous encourager Ă  toujours donner plus en entraĂźnement, quitte Ă  nous Ă©puiser. C’est peut-ĂȘtre Ă  cause de cette carence que, plus tard, lorsqu’on s’interroge sur notre choix de discipline, on se dit que, dans un premier temps, on va aller aussi loin que possible. Pour « faire ses preuves » puisque notre valeur sociale et personnelle s’obtient du regard que portent nos co-nageur·ses sur notre trajectoire

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.

Dans l’édition sur le mĂ©rite, j’avais d’ailleurs parlĂ© du biais d’engagement qui pouvait dĂ©couler du fait d’ĂȘtre bon·ne Ă©lĂšve, nous emmenant Ă  barboter dans une ligne de nage qui ne nous correspond pas vraiment (cf. l’épisode PaumĂ©es now we here oĂč Marine raconte comment elle s’est retrouvĂ©e « Ă  signer pour un prĂȘt Ă©tudiant comme si j’achetais une baguette de pain Ă  la boulangerie »).

l’échec comme distinction

Et, comment ne pas avoir peur de la mauvaise note puisqu’on l’associe, dĂšs l’école, Ă  la sanction ? Que l’on parle heures de colle, entraĂźnements supplĂ©mentaires, redoublement ou simple Ă©viction du club, ĂȘtre « mauvais·se » nous coule. Et je parle uniquement des rĂ©percussions dans le cadre scolaire puisque chaque famille possĂšde sa propre relation au chrono et Ă  la rĂ©ussite. 

La quĂȘte de la note moyenne – permettant de rester dans le peloton de nage – semble donc ĂȘtre avant tout un confort social plus qu’une volontĂ© personnelle. De mĂȘme lorsqu’on intĂšgre une Ă©quipe de nage professionnelle. Dans une vidĂ©o de France TV Slash sur le fait de ne pas possĂ©der de diplĂŽme, une des invitĂ©es Ă©voque le moment oĂč, Ă  15 ans elle est entrĂ©e en dissonance avec le systĂšme scolaire car elle souhaitait s’orienter vers un club Ă  la rĂ©putation « infĂ©rieure » Ă  ceux auquel elle aurait pu prĂ©tendre grĂące Ă  ses rĂ©sultats. Comme si, ne pas avoir « l’ambition de son chrono » Ă©tait trahir sa condition – et Ă©quivalait Ă  chercher la sanction, voire, le dĂ©classement.

À l’inverse, deux autres tĂ©moignant·es exprime leur mal-ĂȘtre engendrĂ© par le fait de ne pas rĂ©ussir Ă  se conformer, sanctionnant leur appartenance Ă  la norme 👇

« Je me sentais mal de ne pas avoir réussi à obtenir quelque chose que tout le monde semblait avoir facilement [le bac] »

« On m’a donnĂ© le trophĂ©e du plus mauvais Ă©lĂšve de la classe. Je l’ai pris mais autant vous dire que je ne l’ai pas brandi. Je l’ai tout de suite mis sous mon bras et je suis vite parti »

Sur Plouf đŸŠâ€â™€ïž aussi natation et notation s’entremĂȘlent. Julie fait partie de celleux qui ne rentraient pas dans le moule scolaire et ont rapidement dĂ» se poser des questions sur leur trajectoire. D’abord parce que son chronos coulaient, mais aussi – et surtout – parce qu’autour, on lui faisait comprendre qu’une sortie de bassin Ă©tait sĂ©rieusement Ă  envisager, faute de conformitĂ©.

« Je me faisais dĂ©chirer Ă  l’école. Quand on te dit que t’es nulle pendant toute ta scolaritĂ©, tu ne penses pas Ă  un schĂ©ma de rĂ©ussite aux petits oignons » Julie Au bord du bassin

Ce procĂ©dĂ© de mise Ă  l’écart – dans une filiĂšre considĂ©rĂ©e comme moins prestigieuse ou rapidement professionnalisante au lycĂ©e – se retrouve ensuite dans l’enseignement supĂ©rieur. Sur le moment, l’échec est cuisant. Mais, sortir la tĂȘte du long fleuve tranquille et des bonnes notes n’aurait-il pas du bon ? Car, ne pas appartenir Ă  un systĂšme – ici de notation – permet d’ouvrir ses horizons de nage et d’accroĂźtre sa libertĂ© puisqu’une fois le dĂ©classement effectuĂ©, on ne craint plus rien. 

Être forcé·e Ă  stopper sa progression quasi mĂ©canique pour se recentrer sur ses aspirations personnelles, est-une opportunitĂ© ? (vous avez 6 heures)
si jamais t’as la ref → la technique de Phoebe lui aurait sĂ»rement valu un 0 pointĂ© en course au bac mais sa vie hors systĂšme a l’air plutĂŽt fun 🩐

👉 Note (lol) : Quelles que soient les rĂ©ticences qu’on puisse avoir face Ă  cette logique d’évaluation et de classement, ce systĂšme nous lie. Il nous inscrit – d’une certaine maniĂšre – dans une (micro)sociĂ©tĂ©. Ne pas avoir « le droit » Ă  sa note, c’est se voir nier son appartenance au club. Je me souviens qu’en prĂ©pa, un·e de mes prof prĂ©fĂ©rait ne pas donner de note en colle plutĂŽt que d’en produire une qui pouvait nous faire couler. Le latin m’apprĂ©ciant autant que la nage papillon (aka pas du tout), je faisais partie de celleux

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 qui n’ont jamais rĂ©ussi Ă  dĂ©crocher une apprĂ©ciation chiffrĂ©e. Mon seul objectif Ă©tait alors d’obtenir un chrono suffisamment bon pour qu’il soit pris en compte, et (rĂ©)intĂ©grer l’équipe, qu’importe s’il Ă©tait le plus faible du groupe. 

Cette ambivalence du rapport Ă  l’évaluation m’intrigue. C’est comme si l’on oscillait constamment entre le besoin irrĂ©pressible de se situer sur une Ă©chelle sociale et celui de s’en Ă©manciper – rendant cette derniĂšre quasi impossible.


🩀 comment t’as fait pour aller aussi vite ?

comment s’attribue la bonne note ?

« 4 c’est une mauvaise note. On a l’impression que c’est bien, mais c’est mauvais sur Uber. Quand un client me dit “ça s’est trĂšs bien passĂ©, je vous mets 4”, je lui explique la situation et ça les Ă©tonne. On est suspendu Ă  4,5, moi j’ai 4,51, s’il m’arrive quelque chose, je saute [
]. Donc, les jours oĂč je ne vais pas bien je ne me connecte pas ou je passe par d’autres applications, j’ai trop peur » Nabil, chauffeur Uber au micro de France Inter sur la notation

La bonne note, c’est la rencontre d’un·e nageur·se et d’une grille de critĂšre prĂ©-dĂ©finis (comme ici, les critĂšres d’évaluation des plongeons sont prĂ©-dĂ©finis).

Cependant, il est difficile de vĂ©ritablement faire Ă©tat desdits critĂšres. La duretĂ© de la notation varie en fonction de la personne Ă©valuatrice, des pratiques du club de nage, etc. La pertinence de ce fonctionnement est d’ailleurs souvent remise en question pour les examens et diplĂŽmes nationaux comme le bac de sport. Noter Ă  la performance du D-Day fait dĂ©bat, tout comme la notion de contrĂŽle continu puisqu’on ne note pas de la mĂȘme maniĂšre d’un Ă©tablissement Ă  l’autre, voire mĂȘme, d’une. catĂ©gorie Ă  l’autre. De plus, au moment de passer les sĂ©lections pour intĂ©grer les clubs de perfectionnement, il arrive que les notes soient pondĂ©rĂ©es selon divers critĂšres. Un 15 d’un lycĂ©e sĂ©lectif pourrait ainsi Ă©quivaloir Ă  un 18 ailleurs. Il en va de mĂȘme en prĂ©pa oĂč, selon le centre d’entraĂźnement, on sait que notre performance au concours sera meilleure que pendant l’annĂ©e.

winner un jour, winner toujours ?

Et, si noter est un moyen de classer, chacun·e peut un jour se retrouver dernier·e du pool ultra sĂ©lectif qu’iel a intĂ©grĂ©. S’appuyer sur son chrono comme seule mesure de sa valeur peut donc ĂȘtre trompeur puisqu’il repose sur un contexte prĂ©cis (et est donc relatif).

Alors, pourquoi noter a-t-il envahi notre quotidien ? Comment s’en libĂ©rer ?


🐚 snack break, community : notes partout, libertĂ© nulle part

J’adore la sĂ©rie Community, et ça tombe bien parce que le thĂšme de la notation sociale y avait Ă©tĂ© explorĂ©. Dans l’épisode, il est question d’une application appelĂ©e MeowMeowBeenz permettant aux gens de s’évaluer mutuellement sur un barĂšme allant de 1 Ă  5. Les critĂšres vont de l’apparente bienveillance d’un·e nageur·se envers ses pairs Ă  son taux de participation en cours. Plus la note est Ă©levĂ©e, plus la personne accĂšde Ă  de nouveaux privilĂšges et inversement. Comme dans toute sociĂ©tĂ© pyramidale, atteindre le sommet du podium est difficile. Et mĂȘme ceci fait, tout reste Ă  prouver pour conserver sa place car chaque faux pas peut ĂȘtre sanctionnĂ© par une mauvaise note – et un dĂ©classement.

Pourtant, on remarque que chacun·e se plie Ă  l’exercice. Qui par besoin de se sentir appartenir au groupe, qui par esprit de compĂ©tition, qui par envie de savoir comment les autres jugent leur maniĂšre de nager – peu importe la subjectivitĂ© de l’avis donné 

« MĂȘme si cette forme d’évaluation a des effets pervers et qu’on s’en plaint, malheureusement on la rĂ©clame parce qu’on attend d’elle des choses qu’elle ne peut pas nous apporter. On attend des formes de rĂ©vĂ©lation sur soi. Savoir ce qu’on vaut, qui on est. On imagine que ça va nous apporter une forme de connaissance de soi qui est fausse, dangereuse [
]. On est prĂȘt·e Ă  ĂȘtre Ă©valué·e si les autres le sont aussi » BĂ©nĂ©dicte Vidaillet au micro de France Inter sur la notation

Le plus curieux dans l’épisode Ă©tant que, mĂȘme si le systĂšme social proposĂ© par l’application pĂšse fortement sur les nageur·ses de l’équipe de Greendale, personne ne pense pour autant Ă  la supprimer pour s’en Ă©manciper. Une mĂ©taphore – sĂ»rement – de nos propres contradictions dans le domaine.

snack break off 🐚


🩑 L’évaluation comme norme

la panoptique : l’enfer c’est les autres

Dans son livre Surveiller et punir Foucault s’intĂ©resse Ă  un modĂšle d’incarcĂ©ration appelĂ© « le panopticon ». Cette prison est rĂ©alisĂ©e de telle sorte que toutes les cellules sont disposĂ©es en cercle autour d’une tour rassemblant le personnel de surveillance. Chaque cellule est ouverte sur la tour, mais celle-ci est recouverte de maniĂšre Ă  dissimuler si les prĂ©venu·es sont observé·es. Le caractĂšre alĂ©atoire de la surveillance rendait les prisonnier·es irrĂ©prochable, de peur de se savoir Ă©pié·e au mauvais moment.

Mais quel rapport avec la natation ? À premiĂšre vue, pas grand chose. Pourtant, la digitalisation du travail a permis l’émergence de nouveaux modes de surveillance
 et d’évaluation.

plouf, on s’évalue ?

En entreprise  tout est sujet Ă  ĂȘtre notĂ©. Son humeur quotidienne, sa motivation, ses managers, ses collĂšgues, son temps d’entraĂźnement hebdomadaire, et j’en passe. L’évaluation est Ă  un clic et le geste en devient quasi-automatique. On vit au rythme des trimestres, semestres voire annĂ©es selon le fonctionnement du club que l’on a intĂ©grĂ© et des entretiens annuels oĂč on fait le bilan sur son parcours de nage. Encore une fois, la bonne note rĂšgne en maĂźtresse au risque de se voir refuser une promotion (« redoubler ») ou mĂȘme remercié·e. La logique scolaire reste donc bien prĂ©sente dans nos vies professionnelles, et, d’une certaine maniĂšre, nous rassure puisqu’elle nous permet de nous voir Ă©voluer dans la piscine. Pour rĂ©ussir, on adopte le comportement de celleux qui semblent passer les niveaux sans difficultĂ© comme s’il n’y avait qu’un seul schĂ©ma nous permettant d’accĂ©der Ă  la rĂ©ussite.

Ce qui suit est une bribe de conversation captĂ©e au vol d’un verre pris en sortie d’entraĂźnement avec deux de mes swimming buddies nageant dans le mĂȘme bassin de l’audit. Au dĂ©tour de la discussion sur leur charge de travail, prĂ©sence (ou non) au bureau et les horaires, celleux-ci se sont exclamé·es quasi de concert :

« Tout est pris en compte dans ta note. Tu dois faire attention à tout.

– Par exemple, si tu finis plus tĂŽt – Ă  19h –, tu dois demander autour de toi « Quelqu’un a besoin d’aide ? » avant de partir. C’est une convention non Ă©crite, mais si tu ne le fais pas, ça peut influencer ta notation sur la partie « esprit d’équipe ». En gĂ©nĂ©ral personne ne te retient, mais il faut demander. C’est limite de la politesse Ă  ce stade.

– Oui, et c’est pareil pour le partage des tĂąches. Je ne me vois pas finir plus tĂŽt ou en refuser certaines parce que je sais que dans ce cas, quelqu’un d’autre le fera Ă  ma place et terminera tard par ma faute. Et, encore une fois, ça a un impact sur ta note finale qui dĂ©termine ton Ă©volution dans l’entreprise 

D’une certaine maniĂšre, on joue sur notre besoin de reconnaissance tant en termes d’effort, de travail et/ou d’impact sur le dĂ©veloppement de notre club. Mais cette reconnaissance – signifiĂ©e par la note – est conditionnelle et temporaire, nous enfermant dans cette mĂȘme spirale de justification constante de son statut de bon·ne Ă©lĂšve dont je parlais plus tĂŽt, risquant – entre autre – le surentraĂźnement.

La note serait alors le moyen ultime de discipliner les nageur·ses, d’éviter les vagues dans la piscine et assurer la pĂ©rennitĂ© d’un modĂšle – pourtant bancale.


👀 So what ?

Tu l’as compris, le problĂšme dans tout ça n’est pas la note en tant que telle, mais plutĂŽt la prĂ©gnance de celle-ci que l’on considĂšre bien souvent comme unique critĂšre de dĂ©finition de notre valeur.

Dans l’épisode d’Émotions autour de la confiance en soi avec Navo, la journaliste explore la notion de « locus de contrĂŽle ». Celui-ci rĂ©git la maniĂšre dont on se dĂ©finit. Le locus de contrĂŽle interne signifie que le·a nageur·se dĂ©finit sa trajectoire en fonction de ses envies et besoins personnels. En revanche, le locus de contrĂŽle externe sous-entend que l’on (se) dĂ©finit en fonction du regard que portent les autres sur notre style de nage. Pour moi, l’apprentissage Ă  se plier au jugement d’autrui depuis la pataugeoire nous encourage Ă  dĂ©velopper ce locus de contrĂŽle externe au dĂ©triment de notre Ă©panouissement personnel. Comme le dit si bien Jana en podcast, le dĂ©fi est d’arriver Ă  nous dissocier de nos notes et/ou de notre travail.

et si, pour se faire, on s’inspirait d’autres systùmes ?

Lors de mon Ă©change aux États-Unis je me souviens de ce cours de maths (que j’ai dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© ici parce que c’était la seule annĂ©e oĂč j’ai compris que ma dyscalculie Ă©tait seulement due Ă  un manquement pĂ©dagogique et non – uniquement Ă  mon manque d’esprit logique criant) oĂč le prof s’amusait Ă  nous donner des rĂ©sultats comme exercice. Notre mission Ă©tait de remonter le cours de l’eau pour trouver l’équation d’origine – ou, Ă  dĂ©faut, de s’en rapprocher le plus possible. Tu t’en doutes, personne n’y arrivait, mais cela importait peu. La notation Ă©tait faite Ă  l’effort, au raisonnement et Ă  la participation.

Une belle maniĂšre de valoriser le processus sur le rĂ©sultat et d’encourager chacun·e Ă  s’élancer pour tester les eaux. Dans ce cas, c’est l’action qui dĂ©finit l’individu et non (uniquement) ce qu’il en ressort. De quoi se construire diffĂ©remment et de s’autoriser plus facilement Ă  sortir des lignes de nage les plus arpentĂ©es pour s’aventurer en eaux libres en grandissant. 

En attendant, pour Ă©couter Jana, c’est par ici 👇


🛠 Quelques ressources avant de se quitter

(Ok cette fois y’en a beaucoup)

👉 L’école française et l’invention de la note. Un Ă©clairage historique sur les polĂ©miques contemporaines par Pierre Merle (ou bien son cours au CollĂšge de France sur la notation)

👉 L’école abuse-t-elle des notes ?, Émission Rue des Ă©coles par Louise Tourret sur France Culture 

👉 Six sans diplĂŽme VS. clichĂ©s, l’émission Étiquette de France TV Slash oĂč les invité·es parlent de leur conception des notes, de la (difficile) acquisition de confiance en soi en marge du systĂšme scolaire plĂ©biscitĂ© et leur Ă©volution personnelle

👉 Les Ă©lĂšves ont-ils besoin d’ĂȘtre notĂ©s ?, Émission Du Grain Ă  moudre par HervĂ© Gardette sur France Culture

👉 Pourquoi s’est-on mis Ă  tout noter ?, Émission Le code a changĂ© de Xavier de la Porte sur France Inter

👉 Le programme La Culbute pour explorer ta relation au changement by Our Millennials Today


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👉 Cette Ă©dition a rĂ©sonnĂ© avec ton expĂ©rience de nageur·se ? Envoie moi un email si tu souhaites tĂ©moigner

👉 Tu ressens le besoin d’ĂȘtre accompagné·e dans ta rĂ©flexion professionnelle ? Tu peux aller faire un tour du cĂŽtĂ© du shop de La piscine ou m’envoyer un email pour Ă©changer sur tes besoins

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À trùs vite pour un nouveau plongeon 🐋

Apolline

Tu peux aussi nous retrouver sur instagram : https://www.instagram.com/ourmillennialstoday/

1

Si tu veux qu’on en discute tu peux rĂ©pondre Ă  ce mail ou m’envoyer un email

2

Source : L’école française et l’invention de la note. Un Ă©clairage historique sur les polĂ©miques contemporaines, p78, Pierre Merle, 2015

3

Soit, les protestant·es. Source : L’école française et l’invention de la note. Un Ă©clairage historique sur les polĂ©miques contemporaines, p78, Pierre Merle, 2015

4

À l’époque, seuls les jeunes aristocrates avaient accĂšs Ă  une Ă©ducation scolaire, l’ouverture Ă  un public diffĂ©rent Ă©tait une avancĂ©e de taille 

5

Un numerus clausus est mis en place pour ne recruter que le nombre nĂ©cessaire d’officiers. Source : L’école française et l’invention de la note. Un Ă©clairage historique sur les polĂ©miques contemporaines, p82, Pierre Merle, 2015

6

Dans les faits on ne commencera Ă  utiliser la notation sur 20 en Ă©cole qu’à partir de 1890

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« Que donne l’évaluation ? Non pas des places mais des positions relatives, incertaines oĂč tout se rejoue Ă  chaque Ă©preuve. Plus on est Ă©valuĂ©, plus on est dans l’incertitude, moins on est rassurĂ© quant Ă  la position que l’on nous attribue de maniĂšre Ă©phĂ©mĂšre. Il s’agit donc d’un cercle vicieux  »  BĂ©nĂ©dicte Vidaillet au micro de France Inter sur la notation

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À date je me demande si je n’étais pas la seule dans ce cas

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